Jean-Marc DAUMAS, « La fidélité des huguenots »

F.-M. Fleutot & P. Louis, Les Royalistes, Enquête sur les amis du Roi aujourd’hui, Paris, Albin Michel, 1989. 

La résidence est claire, et l’entrée sent le frais des vieilles maisons provençales. Nous sommes à Aix-en-Provence. Jean-Marc Daumas de Cornilhac nous a reçus chez lui, entre deux livres, pourrait-on dire. Né en Languedoc, à Montpellier, son parcours universitaire est des plus brillants : Sorbonne, Langues O., facultés de théologie de Paris et Strasbourg. .... Car Jean-Marc est protestant. Certes, on rencontre toutes les religions chez les royalistes, mais le catholicisme y est nettement prédominant, et surtout il y est souvent présenté comme nécessaire.

« Je suis d’une famille de gauche, qui n’a pas d’ancrage royaliste », annonce-t-il d’entrée de jeu. Mais il ajoute : « Mon adhésion au royalisme a été très bien acceptée. On a pensé que je maintenais ainsi nos valeurs tant culturelles que sociales. » Né avec le royalisme ? « Je crois que je suis né comme ça. Tout petit, je me suis demandé quel était le descendant des rois de France. J’ai été intrigué par la personnalité du comte de Paris. J’ai fini par lui écrire et nous avons correspondu. »

Être royaliste et protestant, n’est-ce pas un peu étrange ?

« C’est parce qu’on assimile indûment protestantisme et pensée libre, pour ne pas dire libre pensée. On pense que le protestant est un petit pape, la bible à la main, qui fabrique sur ses genoux sa propre religion, qui est en politique plutôt à gauche et fondamentalement républicain. Or, il y a toujours eu une tradition monarchiste très importante chez les protestants. Aux XVIe et XVIIe siècles, le corps pastoral réformé fut toujours très fidèle au roi de France. Au XVIIe siècle, certains théologiens protestants, comme Dumoulin, écrivent même des traités sur la monarchie. Voir dans le protestantisme un ferment républicain n’est pas conforme a la réalité. Il y a une erreur que l’on commet très souvent dans les milieux royalistes, c’est que l’on voit un lien nécessaire entre monarchie et obédience catholique romaine. Il faut savoir qu’aujourd’hui, presque tous les pays qui ont à leur tête un monarque sont des pays protestants. On ne mesure pas assez cela. L’Angleterre, la Suède, le Danemark, la Norvège et les Pays-Bas sont des royaumes où la population est essentiellement protestante. Seules la Belgique, avec une constitution très récente (1830), et l’Espagne, depuis peu, sont des royaumes à majorité catholique romaine. Il n’y a donc pas d’incompatibilité essentielle entre ma foi protestante et la monarchie. »

Pourtant, la monarchie française n’a pas toujours été très tendre avec les réformés. Rappelons-nous Louis XIV et les dragonnades !

« Oui, il est sûr que des choses comme celle-ci ont jeté le discrédit sur le pouvoir royal. Cependant, malgré les persécutions, la communauté protestante est restée fidèle au roi. Un exemple, qui concerne justement Louis XIV : en 1715, lorsque le roi se meurt, un synode réformé se réunit à Montnoblet, près de Saint-Hyppolite-du-Fort, et prie pour le rétablissement du roi. Une telle attitude éclaire mieux qu’un long discours. Voilà des gens qui s’assemblent et prient pour la santé de celui qui les a fait massacrer. Autre chose, peut-être encore plus symbolique de cet attachement des réformés à la cause royale, la croix protestante dite croix huguenote est composée de quatre fleurs de lys. Il y a une variante, devenue classique maintenant, avec la colombe de l’Esprit, mais il existe une variante moins connue, avec une larme. Cette larme est l’onction du sacre de Hugues Capet. Je crois qu’il y a toujours eu une parenté entre le fondamentalisme protestant et la royauté. À Amboise en 1561, les protestants affirment : "Nous nous appelons huguenots parce que nous sommes des partisans de Hugues Capet." Sous l’Ancien Régime, il est incontestable qu’il y ait eu une militance protestante en faveur de la royauté. Au moment de la Révolution, certains protestants ont participé au mouvement, mais combien de catholiques l’ont fait également ? Et puis, la plupart des protestants se sont opposés à l’assassinat de Louis XVI, qui était pour eux le roi de l’édit de Tolérance. Il y a de part et d’autre des clichés dont il faut se défier. Protestantisme et républicanisme ne sont pas intrinsèquement liés. »

Et depuis lors, y a-t-il eu des groupes protestants monarchistes ?

« L’Association Sully, qui était proche de l’Action française de Charles Maurras, a fait paraître à partir de 1933 un bulletin. Elle essayait de regrouper les protestants monarchistes autour de personnalités théologiques comme Auguste Lecerf, ou d’écrivains protestants comme Noël Vesper. Il me semble avoir compris que cette association est devenue pétainiste durant la guerre et a suivi le maréchal dans son discrédit. Juste après la guerre, s’est créée une Union de protestants monarchistes qui faisait paraître une revue relativement ouverte. Elle semblait assez proche des organisations que le Comte de Paris essayait de mettre sur pied. Elle a disparu dans les années 50. A la lecture de la revue, il apparaît qu’elle regroupait de nombreux fidèles et pasteurs des églises protestantes, réformées ou luthériennes. Elle était beaucoup moins doctrinaire que l’Association Sully. »

Vous participez à des réunions royalistes ? Vous devez y rencontrer des monarchistes qui sont en majorité des catholiques romains.

«Je fréquente les réunions royalistes de toutes les obédiences. J’y suis généralement bien reçu, mais quand même avec quelque étonnement. Et je souffre de ce que, souvent, le protestantisme y soit conçu comme l’ennemi. Tenez, il vient de paraître une revue qui s’appelle L’Anti-89. Eh bien, dans les deux numéros déjà publiés, c’est un saccage contre les protestants. Les protestants et les francs-maçons sont pour eux la cause de tout. On a fait du protestantisme une révolution alors que c’est une réformation, comme un chapeau déformé qu’on met sur une forme pour qu’il reprenne sa forme originelle. Le protestantisme ne voulait pas établir une autre religion, mais revenir à la foi de l’Église ancienne, à la foi de l’Église primitive. je trouve particulièrement navrant que de pauvres esprits oublient cela, même s’ils sont opposés à notre foi. »

Dans la mouvance royaliste, on utilise fréquemment une phraséologie dans le genre : « le Roi très chrétien, le Roi très catholique, etc. » Qu’en pensez-vous ?

« Un roi très chrétien, oui ; un roi catholique romain, non. Que le roi soit chrétien me semble une bonne chose, une chose essentielle même. Mais il ne faut pas tout confondre. Il ne faut pas refaire des guerres civiles horribles en partant d’un sujet qui est la foi, et qui justement devrait unir et non désunir les croyants. Pour ma part, je suis pour une monarchie chrétienne. »